Aujourd’hui, on se penche sur la fameuse réflexion : “Je ne comprends pas comment on peut dépenser des sommes pareilles dans une montre. J’ai payé ma Swatch 20 euros, et elle donne la même heure que ta Rolex Sky Dweller à 45 000 €”. À travers cette courte étude, nous allons exposer quelques points de réflexion qui sont censés expliquer les prix parfois impressionnants des montres automatiques de certaines des plus grandes marques de l’industrie. Est-ce que le fait de dépenser des montants équivalents au prix d’une voiture neuve pour des garde-temps de poignet est explicable ? Est-ce possible de justifier tous ces zéros ? Voici notre décryptage.
Sommaire
L’évolution du concept de la montre
Comme on l’a souvent évoqué sur notre site dans différents articles, les montres automatiques étaient à une époque considérées comme des outils de travail à part entière. Les marques comme Rolex, Omega et bien d’autres produisaient entre autres des montres aux performances de haut vol destinées à des professionnels bien précis. C’était le cas par exemple de la Omega Speedmaster, dont la communication visait clairement les professionnels de différents secteurs, et qui fut beaucoup utilisée par des ingénieurs et des astronautes du monde entier. On peut également évoquer la Rolex Sea-Dweller, conçue spécialement pour les plongeurs en eaux profondes, ou encore la Milgauss, qui était destinée aux ingénieurs et aux scientifiques qui avaient besoin de montres qui résistaient aux champs magnétiques, c’est-à-dire principalement les docteurs, les employés dans des centrales électriques, et autres chercheurs utilisant des machines spécifiques.
Aujourd’hui, les choses ont changé. Celles et ceux qui utilisent les montres de luxe pour leurs caractéristiques et leurs performances spéciales ne représentent qu’une poignée des acheteurs. Une montre automatique à aujourd’hui une fonction de style, mais également d’affirmation d’un statut social privilégié. Une montre de luxe n’est pas obligatoirement une marque de bon goût, mais elle est considérée comme une preuve de réussite, notamment au niveau professionnel. Une montre est quelque chose de personnel, et les études sur le sujet prouvent qu’une grande partie des possesseurs de montres de luxe les achètent pour eux-mêmes.
En considérant le fait qu’une de ces montres de grandes marques soit perçue comme un message au monde de la part de celui qui la porte, indiquant qu’il fait partie des élites et des privilégiés, on comprend assez facilement que les constructeurs suisses et autres se permettent de monter les tarifs de leurs produits pour atteindre des sommets. Ce besoin de reconnaissance et d’appartenance à des groupes de pairs spécifiques serait propre à l’être humain, et de nombreux chercheurs en parlent dans leurs écrits.
Les fabricants de montres suisses ont évidemment très bien compris cela, et ont battit leur empire sur ce besoin que l’humain a de prouver au monde qu’il fait partie des hautes sphères. Cela peut clairement être considéré comme une des raisons des prix parfois exorbitants des gardes-temps des marques de luxe, mais ce n’est pas la seule.
Le prix de la Recherche et Développement
Assez ironiquement, pour parvenir à concevoir une montre, il faut du temps. Les horlogers, les ingénieurs, les créateurs, les dessinateurs, les designers… Tous les corps de métier qui travaillent dans la conception des montres sont des spécialistes qui ont suivi des formations de plusieurs années, voire de plusieurs dizaines d’années avant d’arriver à un niveau de maîtrise suffisant pour exercer leur art et ainsi commencer à travailler concrètement sur la conception de montres.
Un mouvement de montre automatique classique est déjà complexe, et cela empire bien évidemment avec les montres à complications multiples. Certaines montres sont faites de plus de 700 pièces différentes, toutes faites à la main par des spécialistes en tous genres. Et ces spécialistes ont passé des milliers d’heures à tester des procédés avant de pouvoir parvenir à fabriquer de leurs mains les pièces qui seront utilisées par les maisons horlogères. Tout cela à un coût. Le savoir-faire propre à tous ces artisans doit bien évidemment être rémunéré et récompensé. En plus du temps considérable qu’ils allouent à ces taches de production, une technique, une précision et une attention toute particulière à chaque détail jusqu’au plus minuscule sont absolument nécessaires au fonctionnement et à la réussite d’un produit fini. En achetant une montre de luxe, vous payez en partie les heures de travail et le savoir-faire incroyable de tous les corps de métier qui travaillent dans l’ombre des grandes marques.
Les marges des intermédiaires
Certaines maisons horlogères vendent leurs produits directement au consommateur, sans passer par personne. Certaines des montres de ces marques de prestiges sont plus accessibles financièrement que leurs équivalents chez d’autres confrères, en partie en raison de leur politique de distribution directe.
Pour les autres, c’est bien différent. Chez certains, le fabricant va vendre un produit à des distributeurs, qui vendront ces produits à des détaillants, qui les vendront à leur tour au consommateur final. Tous ces acteurs vendent avec une marge à chaque fois et l’acheteur final se retrouve à payer le coût de la montre à produire, mais aussi toutes les marges qui se sont additionnées. C’est le cas pour tous les produits de consommation, mais encore une fois la production d’une montre coûte cher, et parfois très cher, ce qui signifie que le prix de production qui sera ensuite multiplié représente déjà un montant important.
L’absorption des coûts marketing
On l’a évoqué plus haut, les coûts de recherche et développement doivent être absorbés. Logiquement, il en va de même concernant tous comme les frais de marketing qui sont parfois considérables chez certaines marques qui veulent construire ou maintenir leur image. Du sponsoring d’évènements internationaux, des spots télévisuels durant les transmissions les plus suivies de la planète, des pages entières dans des magazines parmi les plus imprimés du monde, des points de vente qui respirent le luxe situés sur certaines des avenues les plus chères qu’il soit, animées par des employés spécialistes de l’horlogerie qui peuvent s’exprimer en plus de cinq langues… Tout cela représente des sommes d’argent considérables, et cela se fait ressentir sur les prix de vente finaux.
La rareté et l’ancienneté
Le concept de rareté est bien souvent associé à celui du luxe, dans le sens où ce qui est rare est cher, et le prix augmente avec le niveau de rareté. C’est de là que vient l’idée de l’édition limitée. C’est en partie le cas pour ce qui est du monde de la haute horlogerie. Presque toutes les marques proposent des éditions limitées de leurs différents modèles, qui sont bien souvent vendus plus cher que le modèle classique. En effet, la production des montres de luxe prend du temps, mais la rareté est également voulue par les marques, afin d’intensifier la sensation d’achat de luxe et d’exclusivité pour les clients lorsqu’ils parviennent enfin à mettre la main sur une montre que les élites s’arrachent, mais qui est en rupture de stock.
Cela va même plus loin dans l’exploitation du concept de rareté, puisque de nombreuses marques contrôlent très précisément les quantités produites afin de faire en sorte que l’offre soit toujours en dessous de la demande. La Rolex Daytona est un bon exemple de cette pratique. À la fin des années 80 et au début des années 90, les listes d’attente pour les différentes références de la Daytona tournaient aux alentours de trois ans, et pouvaient même atteindre six ans. Il s’agissait bien évidemment du résultat d’une politique bien spécifique de la part de Rolex, qui gonflait les prix tout en produisant un minimum de pièces chaque année.
Et lorsque des usines fabriquent trop de montres par rapport à la demande, il arrive que les entreprises ou les groupes qui possèdent la marque de la montre en question rachètent elles-mêmes le surplus afin de l’écouler personnellement au rythme qui lui convient. Ce fut par exemple le cas de Richemont, propriétaire de Cartier, IWC, Piaget, Officine Panerai, Jaeger-LeCoultre et j’en passe, qui racheta pour presque 300 millions de dollars de sur-production de montres à une période ou la demande stagnait. Le résultat de cette opération : les ventes de Cartier ont explosé, et les prix ont atteint des sommets.
Au concept de rareté, on couple bien souvent le concept d’ancienneté. En effet, plus une référence précise de montre est ancienne, plus les chances d’en trouver en bon état s’amenuisent. L’ancienneté influe donc directement sur la rareté. On peut prendre l’exemple de la Rolex Sea-Dweller, dont on a déjà parlé en détails sur notre site. Elle a été présentée pour la première fois au public en 1967. Avant cela, quelques prototypes avaient été produits, en quantité ultra limitée. Les chances de trouver aujourd’hui un prototype de Sea Dweller qui date d’avant 1967, que l’on appelle les “Single Red Sea-Dweller” en raison de leur unique ligne d’inscription rouge sur le cadran, sont infimes. Avec le temps, les montres ont été perdues, détruites, modifiées, etc. C’est donc sans surprise que parmi les dizaines de références différentes de Sea-Dweller qui existent depuis 1967, ce soient ces prototypes ultra rares et ultra vieux qui valent le plus d’argent. Une vente d’un de ces bijoux s’est élevée à 500 000 dollars en 2012. Rien que ça.
L’histoire et les montres “importantes”
Comme nous l’avons évoqué rapidement dans notre guide d’achat des montres vintage, les prix des montres qui ont une histoire peuvent faire exploser les compteurs. C’est un concept en partie lié à celui de la rareté et de l’ancienneté que nous venons d’aborder. Dans le guide, on parlait par exemple d’une montre à gousset ayant appartenu à Abraham Lincoln qui s’échangerait contre des sommes impressionnantes. Il en va de même concernant les montres portées par tous les autres grands de ce monde, comme des rois et reines ou des présidents. À celles-ci viennent s’ajouter des montres qui ont été portées lors d’évènements spéciaux, comme par exemple la Omega qui est allé sur la lune, la Sea-Dweller qui a accompagné le recordman du monde de plongée en profondeur ou encore la montre Daytona de Paul Newman record de la montre bracelet la plus chère… Toutes ces montres qui ont une histoire sont très prisées par les collectionneurs, et leurs prix dépassent évidemment de beaucoup ceux des modèles neufs.
Les montres à options et caractéristiques rares, ou entraînées par des calibres bien spéciaux qui ne sont par exemple plus utilisés aujourd’hui peuvent valoir très cher sur le marché de l’occasion en raison de ce qu’elles représentent pour les collectionneurs et les amoureux d’histoire.
Le célèbre effet Veblen
Les montres de luxe font partie des produits qui démontrent le mieux l’importance de l’effet Veblen. C’est l’économiste et sociologue Thorstein Veblen qui a mis en avant en 1899 le fait que certains produits se vendaient moins lorsque leur prix subissait une baisse, et se vendaient plus lorsqu’ils étaient plus chers. C’est donc l’exact opposé des biens de consommation plus classiques, qui se vendent mieux lorsqu’ils subissent des baisses de prix, et qui se vendent moins lorsque les prix augmentent. L’effet Veblen est aussi appelé effet de snobisme, vous comprenez bien pourquoi.
Les montres de luxe donc, pour toutes les raisons dont nous avons parlé dans cet article et pour d’autres, voient leurs ventes augmenter lorsque leurs prix progressent. De nombreux clients des montres de luxe sont intéressés par ces produits avant tout parce qu’ils sont chers, souvent inaccessibles au commun des mortels, et que le simple fait de les posséder et de les montrer peut être considéré comme une preuve de réussite et d’appartenance à une certaine élite.
Pour reprendre un exemple connu : la Altiplano ultra-fine de chez Piaget a subi une augmentation de prix la faisant passer de 6 000 dollars à 19 000 dollars en trois ans, sans modification sur le modèle, et ses ventes ont augmenté.
Le placement
Ce n’est un secret pour personne, les montres de luxe sont considérées comme des placements relativement sûrs. En tout cas bien plus sûrs que les Bitcoins et autres crypto-monnaies à en croire de nombreux spécialistes.
Tout d’abord, de nombreuses montres de luxe contiennent des pierres précieuses ou semi-précieuses, ainsi que des métaux précieux comme l’or, l’argent, et autres. Cela signifie que simplement en revendant une montre en fonction de son poids en or, on peut parfois récupérer d’importantes sommes d’argent. L’or est encore aujourd’hui considéré comme un placement relativement sûr, ce qui fait des montres en or des objets qui gardent une valeur concrète dans le temps quoi qu’il arrive. Il en va de même pour les diamants et autres pierres.
À cela s’ajoute le concept d’ancienneté et de rareté que nous avons évoqué un peu plus haut. Au même titre qu’une vieille voiture ou même qu’une œuvre d’art, des pièces anciennes et bien conservées peuvent prendre de la valeur avec le temps, et intéresser les collectionneurs passionnés. De nombreux individus plus ou moins fortunés parient sur le fait que leur montre va prendre de la valeur, et en achètent certaines qu’ils ne déballent jamais, et qui sont simplement des moyens de placer leur argent qu’ils considèrent plus intéressants qu’un placement à la banque ou en bourse…
Le mot de la fin
Ces quelques aspects font donc partie des explications plausibles concernant les prix parfois considérés comme indécents des montres de luxe. C’est lorsque vous ajoutez tous ces paramètres que les prix les plus fous commencent à se dessiner. Si vous prenez une montre très ancienne, qui avait été produite en quantité limitée, qui possède un niveau de complexité et un nombre de complications élevé, qui contient des diamants, de l’or rose, d’autres pierres précieuses et métaux précieux, et qui provient d’un distributeur qui l’a reçu d’une maison horlogère qui fait partie des plus grands noms du secteur et qui dépense des millions en marketing et en recherche, il y a de très grandes chances pour que cette montre vous coûte le prix d’une voiture, voire d’une petite maison au bord de la mer..
Gardez tout de même en tête que certaines Rolex et autres se vendent aux alentours de 3 000 € neuves. Cela représente évidemment une somme non-négligeable, mais c’est tout de suite plus accessible qu’une vieille Sea-Dweller à 500 000… Pas besoin d’avoir inventé Facebook ou d’avoir gagné un des matchs d’ UFC les plus rémunérateurs de l’histoire pour commencer à s’offrir des montres de haute horlogerie. On peut commencer relativement “modestement” (en gardant à l’esprit que 3000€ reste une somme importante bien sûr), et évoluer avec le temps! C’est d’ailleurs ce qu’on fait de nombreux collectionneurs et amoureux des montres. Certes, c’est une passion qui peut coûter cher, mais on peut tout à fait avancer à son rythme. À vous de choisir en fonction de vos goûts, de vos envies, et de vos moyens…
Dernière modification de l’article le 30/11/2020
Basé entre Paris et la région de Genève, avec des explorations fréquentes à l’international, mon itinéraire professionnel m’a vu évoluer de l’événementiel en Asie et du secteur immobilier français en passant par des sphères variées telles que la formation, la création multimédia et l’intelligence artificielle. Ma curiosité m’a conduit vers l’horlogerie sur le tard. Depuis des années, je suis fier de pouvoir partager les subtilités de ce domaine sur lecalibre.com, média devenu une véritable référence francophone sur le secteur !
3 Comments
Tweed Co
Bonjour à tous et à toutes
Cette partie m’a capté et j’aime bien le partager avec vous.
“On peut commencer relativement “modestement” et évoluer avec le temps! ” Petit à petit l’oiseau fait son nid.
Merci pour cet article
Thomas
Article de très haute qualité, bravo. L’Audemars-Piguet est sublime !
Fati
Très bonne article ravie de le lire.