Si je vous dis « Rolex Explorer », il y a plutôt fort à parier pour que vous sentiez l’oxygène se raréfier, le froid s’intensifier, et le sol s’éloigner. La simple évocation du nom de ce modèle de lamarque à la couronne a suffi à vous projeter à 8848m d’altitude, au sommet du mont Everest. Pourtant, l’explorer n’est pas la montre d’explorateur parfaite que Rolex vous a vendu.
Pour bien comprendre mon propos, il va falloir établir deux bases solides : pourquoi la Rolex Explorer est-elle synonyme de toit du monde, et qu’est ce qu’une bonne montre d’explorateur ?
Je vous invite donc à monter dans ma DeLorean, et à voyager dans le temps jusqu’au début des années 50. À cette époque, la déesse mère du monde (nom donné au mont Everest par les peuples de l’Himalaya), n’est pas encore conquise, malgré les multiples tentatives qui se succèdent depuis 1922.
Retour rapide sur l’histoire de la Rolex Explorer
En 1951, il est décidé de délivrer des permis d’exclusivité annuel pour l’exploration de la région, et la tentative de conquête qui va avec. Les Suisses obtiennent le permis pour l’année 1952, les Britanniques 1953 et les Français 1954.
L’équipe Suisse s’élance donc à l’assaut du sommet en 1952. Après un terrible combat contre les éléments, les alpinistes sont contraints à abandonner, à moins de 300 mètres du sommet.
En parallèle de la tentative helvétique, les Britanniques se tiennent près pour ce qui sera l’expédition la plus ambitieuse jamais organisée. Ils développent un équipement plus moderne et plus adapté aux conditions de très haute altitude, en les recréant en laboratoire. Ils remplacent aussi les traditionnelles boîtes de conserves, lourdes et encombrantes, par des rations de nourriture sèche emballées sous vide. Des entreprises Britanniques sont impliquées dans le processus de développement, notamment la compagnie Smiths.
Le Colonel John Hunt est choisi pour mener l’entreprise visant le toit du monde. Il arrive, accompagné de toute son équipe, à Katmandou en Mars 1953. Il y rencontre les sherpas et leur porteur en chef, Tensing Norgay. Cet homme n’est pas n’importe qui : c’est sa 7ème expédition pour le sommet du monde depuis 1935. Il détient aussi le record d’altitude, un peu plus de 8500m, qu’il a établi l’année précédente lors de la tentative suisse.
Après plusieurs mois d’une avancée lente et méthodique, jonchée d’installations de pas moins de 7 camps de base entre 5000 et 7900m, il est enfin temps de s’élancer pour l’ultime ascension. John Hunt décide de former deux équipes : lui même est accompagné de deux alpinistes chevronnés dans la première, et la seconde se compose de Tensing Norgay, et d’Edmund Hillary, un célèbre alpiniste Néo-Zélandais.
La première équipe échoue à seulement 91 mètres du sommet, à cause d’une défaillance de leur matériel d’oxygénation expérimental. Tensing et Hillary sont donc les derniers espoirs de cette expédition Britannique, la plus coûteuse de l’histoire.
Après être restés 3 jours bloqués dans leur tente à cause d’une tempête, une fenêtre météo se dégage enfin. Le matin du 29 mai, les deux hommes enfilent leurs sacs de 14 kilos, et lèvent le camp pour une ascension historique.
Après s’être faufilés à travers une faille dans une paroi rocheuse et enchaînés les coups de piolet, Tensing Norgay et Edmund Hillary se tiennent là, au sommet du monde. Hillary regarde la montre à son poignet. Il est 11h30, et ils viennent d’accomplir un des plus grands exploits de l’histoire de l’exploration.
Après avoir posé ce contexte, il est temps de répondre à la première question : pourquoi la Rolex explorer est synonyme de conquête de l’Everest ?
Tout simplement parce que Rolex n’a pas tardé à faire une campagne marketing grandiloquente, en clamant que les montres qu’Hillary et Norgay portaient ce jour historique du 29 mai étaient des modèles de leur marque, des Oyster Perpetual pour être précis (et non des Explorer comme une grande partie du public semble le présumer).
La véracité de ces propos est remise en question depuis, et la compétition entre Rolex et Smiths pour savoir quelle montre a conquis le sommet en même temps que les deux alpinistes est presque aussi célèbre que l’ascension en elle-même. Ce n’est pas le sujet de l’article d’aujourd’hui, et surtout, l’histoire est tellement complexe et riche en rebondissements qu’elle mérite son propre développement.
Rolex n’a pas attendu bien longtemps avant de dévoiler le modèle célébrant la conquête de l’Everest. En 1953 sort l’Oyster Perpetual Explorer. Le cadran est un classique instantané. 3-6-9 en chiffres arabes blancs sur un fond noir, un triangle à 12 heures et des bâtons partout ailleurs, une aiguille mercedes pour les heures, une lollipop pour les secondes. Tout est équilibré, lisible, parfait. Côté robustesse et fiabilité, rien à dire non plus. On connaît la régularité et la qualité des mouvements Rolex, ce modèle n’y fait pas exception. Il reçoit en plus une huile spéciale, lui permettant de fonctionner de façon précise, même par -20°C.
Mais alors, si tout paraît si beau sur le papier, pourquoi ce titre si équivoque, unilatéral et provocateur ?
Et bien, il est temps de répondre à la seconde question posée en introduction de cet article : qu’est ce qu’une bonne montre d’explorateur ?
Il y a quelques caractéristiques qui sont essentielles à un garde-temps pour un explorateur lors d’une expédition.
Il doit être robuste. Ça paraît évident, certes, mais ça reste le critère numéro 1. Il doit résister aux températures extrêmes. Il doit être étanche, au strict minimum à 10 ATM. Il doit aussi présenter une grande résistance aux champs magnétiques, afin de subir sans broncher ceux présents aux pôles par exemple. Il doit être fiable et précis. Si vous perdez votre GPS et votre boussole, ou qu’ils cassent, vous serez amenés à utiliser votre montre comme moyen de navigation. La méthode étant dépendante du soleil et de l’heure affichée sur votre montre, vous aurez besoin que celle-ci soit la plus précise possible. En effet, 1 heure de décalage correspond à une déviation de 15 degrés dans votre navigation. C’est très loin d’être négligeable.
Vous vous dites certainement qu’étant donné que la Rolex Oyster Perpetual Explorer coche toutes ces cases, je vous ai bien eu avec ce titre mensonger. Et vous auriez presque raison.
Cependant, l’Explorer présente aussi quelques manquements majeurs. Le premier, et certainement le plus important : elle ne possède pas de fonction de date. Si dans un monde aussi avancé d’un point de vue technologique que le notre cela paraît tout à fait anodin, dans des conditions d’exploration, ça l’est beaucoup moins. Malgré les GPS, et même les smartphones présents dans les bagages des aventuriers modernes, la montre reste souvent le dernier instrument encore fonctionnel, lorsque la batterie de l’Iphone ne supporte plus le froid, ou les cristaux liquides du GPS gèlent. Il faut donc être capable de garder la notion du temps, tant de l’heure que de la date, afin de calculer l’avancée quotidienne, les vivres restants, et s’il faut par exemple économiser ceux-ci.
Ensuite, 100 mètres d’étanchéité, cela peut paraître énorme, mais dans un monde aussi exigeant que celui de l’exploration, cela reste peu. Non seulement une étanchéité de 100 mètres ne signifie pas que l’on peut nager avec la montre à 100 mètres de profondeur mais plutôt qu’elle est capable de supporter une pression de 10 ATM sans mouvement, mais une montre d’explorateur doit pouvoir se montrer aussi polyvalente que l’inconscient qui la porte, de la plongée à l’alpinisme en passant par les pôles.
Un autre problème rencontré lors d’explorations, notamment polaires, est celui des cycles jour/nuit. En Novembre, en Antarctique, il fait jour 24h/24. Après avoir tracté un traineau de 150 kilos à ski pendant 10 heures, passé 1h à monter son camp, dormi par épisode à cause des -30°C et du vent qui balaie le continent de glace, il peut arriver de perdre la notion du temps. Et, lorsque le soleil est toujours levé, faire la différence entre 6h du matin et 18h est tout simplement impossible. Une montre capable d’indiquer l’heure sous un format 24h peut faire une sacrée différence, bien que ce ne soit pas la norme parmi les explorateurs.
La Rolex explorer n’est donc clairement pas la montre ultime pour partir à l’aventure à travers le monde que Rolex a bien voulu nous faire croire au cours de ses quelques 67 dernières années. Mais je suppose que les plus attentifs et les plus malins d’entre vous ont vu où je voulais en venir.
La Rolex Explorer II
Mis à part son étanchéité toujours limitée, la Rolex Explorer II comble les lacunes du premier modèle. C’est un modèle qui porte son nom presque à la perfection, et qui serait parfaitement adapté à nombre d’expéditions. Bien que plus clivante que sa prédécesseur de par son esthétique moins épurée et équilibrée, elle n’en demeure pas moins une véritable montre outil, qui sent bon l’hypothermie et la ration lyophilisée.
Si certains critères peuvent sembler ubuesques, ou même anecdotiques, quand on parle de partir explorer des milieux hostiles dans des conditions parmi les plus extrêmes de la planète, aucun détail n’est trop petit pour être considéré. Les exemples de vies sauvées par des montres au cours de folles aventures sont légions (celui des 14 secondes de la mission Apollo 13 est certainement le plus connu et le plus représentatif).
Ce n’est pas pour rien que de tout temps l’industrie horlogère et les exploits humains ont été étroitement liés. Derrière chaque grande expédition se cache un garde temps, nécessaire au succès de celle-ci.
Il faut donc être capable de faire la différence entre marketing intelligent et efficace, et réalité du terrain.
Dernière modification de l’article le 23/04/2021
28 ans, ancien ambulancier d’urgence, aventurier et explorateur professionnel.
Dylan part à l’aventure depuis plus de 5 ans à travers le monde. Il a notamment traversé l’Islande à pied, entre volcans et glaciers, rallié Toulouse à Bordeaux en kayak, traversé les fjors norvégiens, marché des milliers de kilomètres en montagne ou en forêt. Il a aussi parcouru 3000 kilomètres à pied en solitaire à travers le Canada en plein hiver, une première mondiale. Il est actuellement en pleine préparation pour une expédition en Antarctique, qui aura lieu en 2021. Il a développé sa passion pour les montres outils sur le terrain lors de ses nombreuses expéditions, en prenant conscience du caractère essentiel d’un garde temps, au même titre qu’un couteau.
2 Comments
Ron
Ce que tout le monde oublie dans cette histoire, c’est que le premier 8000 à avoir été grimpé le fût par des Francais avec une montre française, la LIP. On fait tout un plat de Rolex mais ce n’est pas la seule marque qui mérite des louanges… Donc cocorico !
Cédric
Rolex à un écho inégalé, pas la plus luxe, mais un branding tellement fort que les montres peuvent s’adapter à n’importe qui. Un voyageur, un exploreur, un digital nomade, un cadre de ville, bref tout le monde, et c’est quand même plus classe que LIP ????????