Ce 25 mars 2021, Frédérique Constant présentait une révolution dans l’horlogerie mécanique : une montre automatique équipée d’un système de régulation offrant une précision inégalée. Cette précision est rendue possible par l’utilisation d’un oscillateur à haute fréquence qui remplace le traditionnel balancier-spiral.
Nous avons donc voulu tester cette Frédérique Constant Monolithic Manufacture, et voici notre test / avis.
Sommaire
- 1 FC Monolithic Manufacture : Évolution ou révolution ?
- 2 Un brin d’histoire
- 3 Encore des hollandais !
- 4 Un peu de technique
- 5 Si ça fonctionne bien depuis 3 siècles, pourquoi vouloir changer ?
- 6 Le résultat
- 7 Et la montre Frédérique Constant dans tout ça ?
- 8 Calibre FC-810 : Et la précision ?
- 9 Alors finalement, révolution ou évolution ? Avis
- 10 En conclusion
FC Monolithic Manufacture : Évolution ou révolution ?
Frédérique Constant Monolithic Manufacture : Une révolution ? Le dictionnaire Larousse nous dit que la révolution est un changement brusque, d’ordre économique, moral, culturel, qui se produit dans une société. Si l’on considère le petit monde de l’horlogerie comme une société, alors le terme révolution est sans doute bien adapté. Cependant, nous verrons plus loin que cette révolution est peut-être avant tout une évolution.
« Révolution », c’était déjà le terme utilisé lors de la sortie de la Frédérique Constant Hybrid Manufacture que nous avons déjà eu l’occasion de tester.
Un brin d’histoire
Sans vouloir refaire l’histoire de l’horlogerie, parlons brièvement de celui dont le trône est symboliquement renversé par cette révolution. Christian Huygens était un homme de science néerlandais du 17°siècle qui s’est illustré dans les domaines des mathématiques, de l’astronomie, de la physique et de la mécanique horlogère. C’est lui qui a inventé le principe de l’horloge à pendule, améliorant aussi la précision des horloges de l’époque. Et c’est toujours lui qui, en 1675, inventa le principe du balancier régulateur à ressort spiral pour les montres.
356 ans plus tard, c’est toujours ce même principe du balancier-spiral qui est enseigné dans les écoles d’horlogerie du monde entier et qui régule 99% des montres mécaniques dans le monde. Gardons un petit pourcent pour l’un ou l’autre système alternatif qui pourrait exister quelque part.
Encore des hollandais !
L’ironie de l’histoire veut que la révolution horlogère dont nous allons parler ici est née à 10 km de La Haye, ville natale de Huygens : c’est en effet à Delft, dans l’incubateur technologique YES!Delft, que le concept de l’oscillateur Monolithic a été développé.
Et faut-il rappeler par ailleurs que si Frédérique Constant est bien une entreprise suisse, elle a été créée par le couple Peter et Aletta Stas, deux hollandais qui menaient des carrières de management à Hong-Kong, et qui décidèrent en 1997 de s’installer à Genève pour lancer une marque horlogère de luxe abordable.
Le projet est né de la rencontre de Peter Stas et du Dr. Nima Tolou, PDG de Flexous, une start-up spécialisée en micromécanique. La personnalité du Dr. Tolou mérite certainement que l’on s’y attarde, puisqu’il est le cerveau derrière ce projet. D’origine iranienne, Nima Tolou a décroché un doctorat en ingénierie biomécanique à la prestigieuse université technique de Delft. Il crée la start-up Flexous pour y développer les produits issus de ses recherches universitaires, entre autres sur les structures flexibles (« Flexous »).
C’est lui qui développe à partir de 2014 le concept de l’oscillateur horloger, qui équipera en 2017 la Zenith Defy Lab, la première montre mécanique équipée d’un oscillateur monobloc flexible. En effet, au risque de briser un mythe naissant, le Monolithic n’est pas le premier oscillateur horloger, c’est une évolution de celui développé pour Zenith. Mais nous verrons plus loin que cela n’enlève rien au mérite de Frédérique Constant.
Un peu de technique
Dans une montre mécanique, l’énergie emmagasinée dans le ressort de barillet lorsqu’il est remonté est transmise par un train de rouages vers l’échappement (organe distributeur), qui va transformer cette énergie brute en impulsions qu’il transmet au balancier-spiral (organe régulateur).
L’échappement et le balancier-spiral travaillent en étroite collaboration : l’échappement transmet des impulsions au balancier-spiral, et en retour celui-ci régule l’échappement. L’énergie libérée par le ressort de barillet est ainsi contrôlée, et la fréquence des oscillations du balancier-spiral détermine la rotation des aiguilles de la montre via le train de rouages.
Bien qu’il ait subit de nombreuses améliorations techniques, ce principe est resté inchangé depuis l’invention de Christian Huygens voici plus de 3 siècles.
Si ça fonctionne bien depuis 3 siècles, pourquoi vouloir changer ?
Une première raison est que la précision d’un mécanisme horloger augmente avec la fréquence du balancier-spiral. Les amateurs d’horlogerie connaissent bien les chiffres de 21.600, 28.800 et 36.000 alternances par heure. Ces chiffres correspondent respectivement à des fréquences de 3, 4 et 5 Hz. La fréquence de 36.000 alt/h correspond aux meilleurs calibres mécaniques, souvent appelés « Hi Beat ». Pour des raisons mécaniques, il n’est pas simple d’aller beaucoup plus loin avec un mécanisme classique. Un système qui permettrait d’augmenter significativement la fréquence gagnerait en précision. (voir cette page pour plus de détails).
Une autre raison est que le réglage et l’entretien de l’échappement et du balancier-spiral est complexe et implique un grand nombre de pièces : le fait de remplacer une trentaine de pièces par un élément unique qui en plus ne nécessite pas d’entretien et de huilage est forcément intéressant.
La demande de Peter Stas au Dr Tolou était simple : développer un oscillateur monobloc flexible
- d’une taille comparable à celle d’un balancier traditionnel,
- offrant la fréquence la plus élevée possible,
- permettant une réserve de marche de 80h,
- et ouvrant la porte à une fabrication en série à prix raisonnable
Le résultat
Le résultat est un oscillateur en un seul composant en silicium monocristallin vibrant à la fréquence incroyable de 40 Hz ou 288.000 alt/h, soit 10 fois plus qu’un calibre ETA 2824-2, 8 fois plus qu’un Hi-Beat, et presque 3 fois plus que le premier oscillateur équipant la Zenith Defy Lab qui vibre à 15 Hz.
Ses dimensions sont de 9,8 mm de diamètre et 0,3 mm d’épaisseur. L’amplitude de vibration est de 6° au lieu d’une moyenne de 300° pour un balancier classique. Les caractéristiques spécifiques du silicium monocristallin le rendent totalement insensible aux champs magnétiques et très résistant aux variations de température. Son poids plume réduit fortement l’influence de la gravité. Les frictions sont fortement réduites ce qui en fait un système très économe en énergie permettant de respecter les 80 h de réserve de marche demandées par Peter Stas. Enfin, aucune lubrification de l’oscillateur n’est nécessaire.
La taille de l’oscillateur permet en théorie de l’intégrer dans un mouvement classique. Cependant ses rouages ne résisteraient pas à une telle fréquence, il a donc fallu concevoir un nouveau mouvement de base, le calibre FC-810, avec un train de rouages à 4 roues au lieu des 3 traditionnelles.
La musique du calibre est étonnante : l’oscillateur produit un doux « buzz » qui rappelle celui des mouvements Accutron. S’il est moins bruyant que l’ancêtre à résonance, évitons de déposer la montre sur la table de nuit avant d’aller dormir.
Dernière caractéristique remarquable : la trotteuse avance de 80 pas par seconde : autant vous dire que l’aiguille glisse littéralement sur le cadran.
Et la montre Frédérique Constant dans tout ça ?
Un calibre innovant ne suffit pas à faire une belle montre. Heureusement Frédérique Constant s’y connaît en la matière. Le calibre FC-810 est intégré dans un boîtier de la collection Slimline, le modèle que nous avons pu tester est la version en or rose 18K. Le boîtier a un diamètre de 40mm hors couronne.
Le cadran est protégé par un verre saphir légèrement bombé et l’arrière est transparent, laissant voir le mouvement et la masse oscillante, également en or. Le calibre est décoré de perlage et de côtes de Genève. La couronne est de forme oignon, également en or.
Le cadran est argenté, la partie centrale est décorée de clous de Paris, les indications sont en chiffes romains. Un compteur de date est positionné à 12h, tandis que le cœur ouvert à 6h permet de découvrir l’oscillateur. Les aiguilles noires de type Breguet sont polies à la main. Le bracelet est en cuir d’alligator marron, et la boucle déployante est ornée du blason de la marque.
Deux autres modèles sont également présentés : un cadran argenté et un cadran bleu, cette fois dans un boîtier acier.
Nous n’avons trouvé qu’un seul défaut à cette montre : la couronne « oignon » n’est pas facile à manipuler, et si l’on n’y prend pas garde, le risque de changer la date dans « la zone de la mort » sans s’en rendre compte n’est pas nul, nous pouvons en témoigner.
Calibre FC-810 : Et la précision ?
Le dossier de presse nous annonce une « précision inégalée », et pourtant aucune valeur de précision n’est annoncée. Nous nous en sommes inquiétés auprès de Frédérique Constant, qui est bien conscient du problème : il n’y a actuellement aucun appareil permettant de mesurer précisément les variations de cette montre exceptionnelle. Les équipes techniques recherchent une méthodologie qui permettra de mesurer cette précision. A ce stade, la marque annonce prudemment les valeurs du COSC, mais on peut raisonnablement penser que la précision sera bien meilleure : à vérifier dans les prochains communiqués de presse.
Alors finalement, révolution ou évolution ? Avis
Comme expliqué plus haut, l’oscillateur de la Monolithic n’est pas en soi une révolution, puisque Flexous avait déjà développé ce principe pour la Defy Lab de Zenith. Pourtant cela n’enlève rien au mérite de Frédérique Constant et ce pour plusieurs raisons.
La première raison est que la Defy Lab a été présentée en 10 versions uniques, toutes pré-vendues à des collectionneurs. Il s’agissait donc clairement d’une opération de communication qui voulait frapper les esprits, comme les prototypes que l’on peut découvrir au salon de l’auto mais que le commun des mortels ne peut acheter. Accessoirement, la Defy Lab était une montre massive et imposante, très loin de l’élégance de la Slimline, mais c’est une affaire de goût.
Au contraire, Frédérique Constant annonce d’emblée une collection complète de 3 modèles : la version Or à 81 exemplaires, et les deux versions acier à 810 exemplaires chacune, et ces trois versions peuvent être commandées dès aujourd’hui.
- FC-810MCN3S6 Acier, Cadran bleu : 4,500€
- FC-810MC3S6 Acier, Cadran gris : 4,500€
- FC-810MC3S9 Or 18K : 15,000€
Une deuxième raison est le choix stratégique d’un oscillateur ayant une taille comparable à un balancier traditionnel. L’oscillateur de la Defy Lab faisait plus de 32mm. Cela permet en effet d’envisager une généralisation de ce système dans d’autres collections, en cas de succès de cette première série, et à condition que les coûts de production puisent être maîtrisés. N’oublions pas que Frédérique Constant fait partie du groupe Citizen, qui a toujours eu une approche très innovante de l’horlogerie. Il y a donc là aussi un énorme potentiel de développement.
Enfin, ce nouvel oscillateur vibre à 40 Hz, au lieu des 15 Hz du premier modèle.
Rien ne vaut une simulation pour se faire une idée soi-même.
En conclusion
Les performances techniques d’un calibre sont certainement importantes, et il y a beaucoup à dire sur celles de ce FC-810 équipé de cet oscillateur high-tech. Mais la qualité d’un calibre ne suffit à faire une « belle montre ». Cette Slimline Monolithic Manufacture est avant tout une belle montre, que l’on porte avec fierté, que l’on regarde souvent pour en admirer le cadran, pour jouer avec les reflets sur la carrure en or, sa taille de 40 mm est bien équilibrée. Bref, nous avons été séduits par ce modèle.
Cette montre se situe dans la continuité de la stratégie de Frédérique Constant de développer ses propres mouvements et d’innover sans complexe.
Fin 2015 sortait l’Horological Smartwatch, une montre à quartz connectée cachée dans une belle montre chic. Ce concept est maintenant décliné dans de nouvelles versions comme la Gents Vitality Smartwatch avec son cadran d’apparence tout à fait classique, mais qui révèle un affichage digital lorsque vous faites appel à une des fonctions connectées.
En 2019, l’Hybrid Manufacture proposait une vraie montre de luxe automatique, avec des fonctions connectées ajoutées. Elle n’était pas parfaite, mais constituait certainement un exercice courageux de proposer une montre “classique” en phase avec le développement des montres connectées.
Comme c’est souvent le cas avec les innovations, l’avenir nous dira si ce concept d’oscillateur flexible réussira à s’imposer dans le monde assez conservateur de la montre mécanique. Nous suivrons ces développements avec intérêt.
Dernière modification de l’article le 04/04/2023
Passionné d’horlogerie depuis une dizaine d’années, je m’intéresse autant aux marques qu’aux montres, et suis toujours à la recherche de nouvelles marques. Au-delà des aspects techniques et esthétiques de l’horlogerie, j’aime beaucoup rencontrer les créateurs de marques moins connues, comprendre leur démarche, et les faire connaître.
Difficile de vous dire quelles sont mes marques préférées, disons IWC, Tudor, mais aussi Seiko, Ollech & Wajs et Gavox, et beaucoup d’autres.
Je porte un intérêt particulier aux Tissot T12, une appellation peu connue et créée à l’occasion de la sortie du film de Cousteau “Le monde du silence” en 1956.