À moins que vous n’ayez été confinés depuis presque quatre décennies, il va bien évidemment de soi que l’enchainement de ces quatre mots évoquent aussitôt en vous la saga amorcée en 1985 par Robert ZEMECKIS, et qu’apparaissent immédiatement à votre esprit les visages de Marty McFLY et d’Emmett BROWN (arborant au passage respectivement une Casio CA-53W et une Seiko A826 Training Timer) ainsi que l’incroyable profil de la DeLorean DMC-12 custom du « Doc ».
Autant le dire tout de suite : il ne sera ici question ni de l’une, ni des autres (ou presque). Mais alors, que vient faire ici ce racoleur « Retour vers le futur » ?!
Avant de répondre à cette question bien légitime, il faut tout d’abord prendre conscience que la saga met en évidence qu’il est indispensable pour voyager convenablement dans le temps d’utiliser un véhicule aussi improbable que hors du commun. Désireux de respecter ce principe, que diriez-vous de prendre place dans une JAWA Minor Roadster à destination de la Sarthe, et plus précisément de la plus prestigieuse course d’endurance du monde… édition 1939 bien-sûr ?! Quoi de mieux en effet que les 24 Heures du Mans pour mettre en évidence l’intérêt d’une complication si singulière ?
Sommaire
Mise en situation
Aussi, c’est sous un soleil de début d’été que nous assistons ce samedi 17 juin 1939 au fameux départ arrêté en épi dit « Le Mans » : les coureurs s’élancent en courant vers leurs voitures garées de l’autre côté de la piste. Simultanément, vous actionnez le départ de votre chrono en poussant le bouton situé à deux heures. L’aiguille des secondes s’ébroue, votre rythme cardiaque s’accélère, le compteur des minutes amorce son décompte… Si vous appuyez de nouveau sur ce poussoir, le chrono s’arrête. Jusque-là, rien d’exceptionnel. En revanche, si vous souhaitez reprendre le chronométrage, il vous faudra non pas pousser mais tirer sur le bouton. Ainsi, vous pouvez par exemple déduire les temps d’arrêts au stand de votre mesure. Hormis cette reprise de mesure qui s’effectue en tirant, il n’y a toujours rien d’extraordinaire. Une troisième pression sur ce poussoir réinitialise le chronographe.
Supposons maintenant que vous souhaitiez évaluer les performances d’une voiture en suivant les temps réalisés à chaque tour. De la même façon que précédemment, vous actionnez le départ de la mesure en actionnant le bouton situé à deux heures. Au moment où la voiture repasse devant vous, vous pressez le poussoir situé à quatre heures. L’aiguille se fige mais le chronométrage continue, si bien que lorsque vous relâchez ce poussoir, l’aiguille reprend instantanément la place qui aurait été la sienne si le chronométrage n’avait pas été suspendu, effectuant ainsi littéralement un Retour vers le futur…
Avec un peu de chance, peut-être auriez-vous chronométré l’équipage n°15 de Robert Mazaud, détenteur du record du tour de cette édition en 5 min 12 s 1 avec sa Delahaye 135 CS ? Quoi qu’il en soit, vous auriez assisté à la victoire de Jean-Pierre Wimille et Pierre Veyron, la dernière victoire de Bugatti au Mans…
Présentation de cette bovet à mono-rattrapante
Vous l’aurez compris, il sera donc aujourd’hui question d’un chronographe mécanique mono-rattrapante Bovet de 1939 mais plus précisément d’un uni-compax (petite seconde + un sous-compteur), animé par un mouvement Valjoux 84 à remontage manuel sur un cadran gilt en deux tons, contenu dans boitier en or de 37mm.
Et plutôt que d’énumérer (trop) succinctement les faits d’armes de la glorieuse et atypique maison Bovet, je vous invite à (re)lire l’article que nous lui avons déjà dédié, me permettant ainsi de rentrer directement dans le vif du sujet.
Cadran
De la même façon qu’un seul regard suffisait à la Gorgone pour vous pétrifier, ce cadran ne peut que vous foudroyer au premier coup d’œil… ! En effet, si les chronographes à cadrans « gilt » ne sont déjà pas légion, que dire de ceux en deux tons ? Pour rappel, seuls les cadrans noirs flanqués d’écritures dorés peuvent se réclamer de cette appellation. Le but étant bien sûr d’obtenir une lisibilité idéale en toutes circonstances : tant dans la pénombre ou en pleine lumière, ignorant les reflets…
Le traitement en deux tons exclu toute erreur de lecture dans la succession d’échelles proposées dans cette modeste ouverture de 35mm.
Vous aurez bien sûr reconnu une échelle tachymétrique sur le disque extérieur noir (indispensable pour maintenir une vitesse de 88 miles à l’heure), une échelle télémétrique sur le disque intermédiaire gris et le chemin de minuterie sur le disque intérieur noir. On retrouve ensuite au centre un cercle gris où figure notamment le nom de la manufacture avec une très jolie typographie calligraphiée, référence subtile à sa date de création, contrastant d’autant plus avec le style années 40 du cadran. Enfin, on retrouve en noir les traditionnels sous-compteurs (petite seconde et compteurs 30 minutes) à 3 et 9 heures. Ceux-ci chevauchent la minuterie pour venir embrasser l’échelle télémétrique.
Les plus observateurs d’entre vous aurons certainement remarqué une différence entre la couleur de la marque et celle des chemins de fer. Comment se fait-il que ceux-ci soient toujours aussi vifs alors que la peinture de la marque s’est estompée avec le temps ? Tout simplement parce que nous sommes en présence d’un cadran en or repoussé (!).
Attardons-nous enfin sur le radium patiné des index en chiffres arabes des heures. Celui-ci laisse par ailleurs entrevoir par endroit leur base en or.
Quant aux aiguilles, il s’agit d’aiguilles losange pour les principales. Notons également le contrepoids en forme de feuille pour la trotteuse de chrono et le renflement singulier juste après le cou de la petite seconde.
Les plus mesquins feront sans doute remarquer que le radium de l’aiguille des minutes s’est teinté différemment de celui de l’aiguille des heures. Tyler Durden leur répondrait que « même la Joconde subit les outrages du temps… »
Boitier
A l’instar des cadrans « gilt », les chronographes à mono-rattrapante ne sont pas courants, alors déclinés en version or, vous pensez bien… ! Et pour le coup, il s’agit d’or suisse, comme en témoigne le poinçon « à tête de femme » figurant à l’intérieur du fond clipsé. Toutefois, il n’est malheureusement nulle part fait mention du fabricant…
En fait, la spécificité du boitier réside principalement dans la présence de poussoirs olive, déjà remarquables en soi, mais aussi à la couronne surmontant celui situé à 2h, lui permettant d’être non seulement poussé mais également tiré afin, comme évoqué plus haut, de redémarrer le chrono.
Mouvement
La boite abrite quant à elle un très joli Valjoux 84, qui plus est orné d’une Croix suisse, rappelant ainsi que le dispositif de mono-rattrapante provient d’un brevet déposé par la manufacture Bovet Frères et Co. en 1939. Et bien que ce mouvement ait été produit en exclusivité pour celle-ci, il s’en est toutefois trouvé quelques-uns d’emboités (sous licence bien sûr) dans des chronos de marque RECTA…
Si certains avancent parfois que le mécanisme de mono-rattrapante est plus simple, et donc plus fiable que le système à deux aiguilles, il comporte tout de même un inconvénient : le chronométrage ne peut être suspendu que durant 57 secondes. Passé ce délai, le temps s’arrête ! Je ne sais pas vous, mais en ce qui me concerne, c’est bien plus qu’il ne m’en faut pour noter un temps intermédiaire…
Et si certains n’ont pas été convaincus par mon parallèle avec Retour vers le futur, voici peut-être de quoi les satisfaire :
Comment expliquer qu’un brevet de 1939 puisse se retrouver sur un mouvement exclusif produit à partir de 1936, lui-même emboité dans une boite munie de poussoirs olive, dont la fabrication a cessé vers 1937-1938, autrement que par une faille temporelle ?
Conclusion
Est-il nécessaire de préciser que nous sommes en présence d’une montre exceptionnelle ? Pour être honnête, c’est de loin la plus belle montre que j’ai eu dans les mains jusqu’à présent… mais on m’a assuré que je n’étais pas le seul à qui elle ait donné quelques émois et palpitations… !
J’en profite d’ailleurs pour remercier l’heureux propriétaire de cette montre, non seulement pour son amitié, mais aussi pour le temps passé à partager ses connaissances horlogères avec moi.
Si j’avais initialement prévu de conclure cet article en paraphrasant Ettore Bugatti, qui avait précisé à son fils Jean, qui décèdera par ailleurs au volant d’une Bugatti 57C deux mois après cette dernière victoire au Mans, « Si c’est comparable, ce n’est pas Bugatti » afin de l’adapter au cas de cette incroyable Bovet, il en sera finalement autrement.
Je préfère terminer sur un modeste commentaire sur les chronographes. On peut lire en divers endroit qu’elle est la complication horlogère la plus inutile pour nos quotidiens d’hommes et femmes modernes… Et puisqu’il était initialement question de paraphrase : Nom de Zeus ! C’est dans la tête tout ça !! Porter un chrono, c’est avant tout un état d’esprit… intemporel.
Dernière modification de l’article le 08/07/2021
Une montre c’est comme un origami : On pense que c’est réussi du moment que la technique est au service de l’esthétique. Mais le plus important, c’est de raconter une histoire…
1 Comment
Aurelie TANTOT
Bel article pour un objet si singulier. Merci!