WYLER Lifeguard “Jumbostar” : Le chrono qui retient sa respiration

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C’est le printemps ! Et l’arrivée des beaux jours nous rappelle qu’il est grand temps de faire des projets pour la trêve estivale. Que vous soyez plutôt mer ou montagne, il y a fort à parier que vous en profiterez pour piquer une tête, faire du paddle, de la voile… Bref, que vous passerez du temps dans l’eau ou à proximité. Aussi, vous réfléchissez déjà au garde-temps qui vous accompagnera durant ces activités. Et bien qu’une plongeuse serait parfaitement adaptée à ces conditions, vous ne pouvez vous passer d’un chronographe…

Est-ce pour répondre à ce dilemme que Paul Wyler créa le Jumbostar ? Sur ce coup, je ne me mouillerai pas, mais regardons tout de même ça de plus près.

Wyler : Un peu d’histoire

Tout commence à Bâle en 1924, quand Paul Wyler, alors horloger de 26 ans, fonde la Wyler SA avec son frère Alfred. Son objectif est simple : proposer des montres résistantes, capables d’encaisser tous les chocs du quotidien. Pour y parvenir, il concentre ses efforts sur le mouvement de ses montres. Ses recherches aboutissent trois ans plus tard, avec la découverte d’un système de protection révolutionnaire : L’Incaflex. Cette innovation se compose de deux bras flexibles courbes intégrés de part et d’autre du balancier qui se rejoignent au niveau de l’axe, jouant ainsi le rôle d’amortisseurs afin de protéger le balancier.

Wyler Incaflex - SERVIMG

Paul Wyler prendra trois ans de plus pour perfectionner son invention avant de se décider enfin à la commercialiser. Pour ce faire, il décide d’emprunter la voie ouverte par Hans Wildorf, fondateur de Rolex : le marketing. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne fait pas les choses à moitié ! C’est ainsi que le 8 octobre 1931, Paul Wyler démontre la fiabilité de ses montres en les lançant du sommet… de la Tour Eiffel ! Remarquez, ce n’est pas la première fois que la dame de fer se prête à ce genre de démonstration. Déjà, le 4 février 1912, François Reichelt, un tailleur pour dames de 33 ans, y expérimentait son prototype de vêtement-parachute en se jetant du premier étage. Si la bonne marche des montres Wyler fut constatée par huissier, il n’échappa à personne que la chute de 60 mètres fut fatale au pauvre François…

Paul Wyler récidiva en décembre 1956 depuis la Tour Eiffel avec des modèles monoblocs, puis en 1962 depuis l’aiguille de Seattle. Marché américain oblige…

Wyler Tour Eiffel

Wyler Seattle

Courant 1932, certainement séduit par cette première démonstration, l’horloger milanais Innocente Binda contacte Paul Wyler pour lui proposer de commercialiser ses montres en Italie. Mais puisqu’à cette époque il n’était pas possible d’y vendre des produits avec un nom étranger, ils déposent un an plus tard la marque Wyler-Vetta, du nom de leur fondateur et de “sommet” en italien, dont vous devinerez facilement l’origine.

Un partenariat qui va s’avérer gagnant : en 1934, Innocente Binda équipe la Squadra Azzura en montres. C’est donc avec des Wyler-Vetta au poignet que l’Italie remportera sa première Coupe du monde ! À la suite de ça, on ne compte plus les personnalités italiennes s’affichant avec une Wyler au poignet, augmentant encore plus leur popularité.

En 1944, ce fut au tour d’Albert Einstein de louer les qualités des montres Wyler. Le célèbre physicien s’est fendu d’un courrier à Paul Wyler pour lui signifier que la Wyler qu’il porte depuis 10 ans “a continué à fonctionner avec la précision habituelle et n’a subi aucun effet néfaste” à la suite de l’accident de bateau dont il a été victime un mois auparavant.

Wyler Einstein - WYLERVETTA

Forte de ces succès, la Wyler SA continuera son petit bonhomme de chemin, et deviendra même dans les années 1960 l’équipementier de la compagnie des chemins de fer de Santa Fe au Nouveau-Mexique.

Ce qui nous amène maintenant, en 1968. C’est en effet cette année-là que fut produit le chronographe le plus emblématique et le plus technique de la marque. Il faut se rappeler qu’au cours des années 1960, l’engouement pour les activités nautiques, porté entre autres par les films du Commandant Cousteau, n’a jamais été aussi fort. Il s’est accompagné d’une demande croissante en équipements de plus en plus performants, et donc en montres de plus en plus étanches. Si plusieurs marques, telles Enicar, Lip et bien d’autres surfent sur cette tendance, Paul Wyler se propose d’aller encore plus loin. En fait, il ne propose pas moins que le premier chrono grand public étanche à 660 pieds (200 mètres).

Wyler lifeguard - PINIMG

Le Jumbostar

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Intégré à la gamme de montres étanches Lifeguard, le Jumbostar (référence 1502/6 pour les intimes), est un confortable chronographe de 40mm de diamètre à deux sous-compteurs (uni-compax pour les puristes) qui se distingue notamment par une couronne supplémentaire à 10 heures.

Le cadran

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D’un noir finement grainé et agrémenté de deux sous-compteurs blancs à 3 & 9 heures, le Jumbostar se caractérise d’abord par son cadran pingouin (laissons les pandas dans le bon sens pour une fois). Celui-ci est tout d’abord délimité par des index en applique dont la forme est assez singulière : des briques surmontées d’une crête biseauté. Leur aspect imposant confère d’une part beaucoup de relief à ce cadran et jouent d’autre part malicieusement avec la lumière, allant jusqu’à donner l’impression que les crêtes sont rehaussées de baguette en onyx. Notons au passage que chaque index trouve à sa base un trait de tritium.

Ceux-ci sont survolés par une aiguille des heures de style “flèche” et une aiguille des minutes de type bâton. La petite seconde à 9 heures sera quant à elle de forme losange. Aviez-vous remarqué que l’aiguille du compteur des minutes est elle aussi du genre bâton ? Une forme par fonction, c’est du beau boulot… Autre détail plaisant : ces quatre aiguilles ont reçu un traitement de matière lumineuse. Décidément…

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Dans le même souci de cohérence, l’aiguille des secondes du chrono est de la même couleur que celle du chemin de de fer, en périphérie des index. L’emploi du rouge n’est pas inintéressant : en plus de dynamiser cette montre, c’est également la couleur du bonnet du Commandant Cousteau. Pas si anodin quand on sait que le bonnet rouge était le signe distinctif des bagnards de Toulon désignés pour tester des scaphandres au péril de leur vie aux XVIII & XIXème siècles. Un peu comme si la course de cette grande aiguille nous incitait à retenir notre respiration…

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Le dernier cercle quant à lui va de pair avec la couronne située 10 heures. Celle-ci commande sa mise en mouvement, permettant ainsi de mesurer des intervalles de temps, à l’instar d’une lunette externe classique, le risque du déréglage en moins. Dans le cas présent, la graduation présente uniquement sur la moitié du cercle ne surcharge pas inutilement l’ensemble. Vous aurez bien sûr remarqué l’index triangulaire recouvert de tritium à midi.

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Et si cette construction donne le sentiment d’être assez épurée, c’est certainement lié à l’économie des mentions. A part l’inscription Incaflex sous la marque en applique, il n’est seulement fait mention que de la profondeur, sans même prendre la peine de préciser les unités. Pas de superflu, rien que l’essentiel…

La boite

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Avant de passer la boite du Jumbostar en revue, quelques mots sur son plexi. À la différence de ceux que l’on a l’habitude de voir, celui-ci ne présente pas un bord arrondi mais saillant. Il n’y a ainsi pas de déformations en périphérie du cadran et donc, une lecture optimale en toutes circonstances.

La boite, en acier inoxydable, donne immédiatement une sensation de robustesse par son profil légèrement trapu. En outre, les cornes chanfreinées sont elles aussi relativement massives et font directement écho aux index. Malgré tout, l’ensemble garde des dimensions raisonnables avec une épaisseur de 13,5mm.

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Gravé sur le fond, on découvre un blason avec le nom du fabricant, le nom de la gamme, un balancier Incaflex et deux poissons (un par centaine de mètre d’étanchéité). A l’ouverture, on découvre qu’il ne s’agit pas d’un simple fond vissé mais d’un boitier compressor. Explications

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A l’instar de la montre portée par Albert Einstein, les premières Wyler étanches étaient de constitution monobloc, c’est-à-dire que tous les éléments de la montre (mouvement, cadran et aiguilles) étaient montés par le haut de la boite avant que le verre ne vienne sceller l’ensemble. Cette technique avait l’inconvénient de devoir déshabiller intégralement la montre pour avoir accès ne serait-ce qu’à la raquette d’avance-retard. La première solution consista à utiliser des fonds vissés. Malheureusement, la pression constante exercée sur le joint nuisait à la longue sur l’étanchéité… C’était sans compter sur l’ingéniosité d’Erwin Piquerez. Originaire du Jura bernois, il a été l’un des principaux fabricant de boites dans les années 1950-1960 sous la dénomination E.Piquerez SA (EPSA). Et au vu du nombre de brevets déposés (une trentaine) sur ce sujet, on peut affirmer qu’il avait fait de l’étanchéité sa spécialité. Sa réalisation la plus remarquable est sans conteste le boitier compressor.

Pour faire simple, il s’agit de mettre le joint sous une légère pression dans l’utilisation quotidienne et de la faire augmenter à mesure de la pression croissante de l’eau. Ainsi ménagé, les matériaux d’étanchéité durent plus longtemps. On reconnait ces boitiers aux quatre encoches qu’ils présentent sur l’intérieur du fond de boite. Le boitier compressor connu deux évolutions majeures : le compressor 2 et le super-compressor, reconnaissable grâce au logo en casque de scaphandrier.

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Le mouvement

Pour animer l’ensemble, rien de moins qu’un Valjoux 23 équipé d’un balancier Incaflex. Vous n’êtes pas convaincu ? Attendez un peu… Pour faire vite, ce mouvement est une version condensée du célèbre calibre 22, faisant ainsi passer son diamètre de 31,3mm à 29,5mm. Cette famille de calibre est une des plus célèbre et les plus anciennes du monde horloger. Elle a été la première vitrine du brevet de chronographe à double poussoir de Willy Breitling dès le début des années 1940. Et si l’on considère la période de fabrication du Valjoux 23, de 1916 à 1974, il ne peut donc y avoir aucun doute concernant sa fiabilité. Mais ce n’est pas tout… ! Vous avez déjà entendu parler du fameux Valjoux 72, emboité notamment par Rolex et Patek Philippe pour ne citer qu’eux ? Eh bien, le calibre 72 est tout simplement la déclinaison à trois compteurs du Valjoux 23 ! Maintenant, vous êtes sous le charme.

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Pour conclure

Le moins qu’on puisse dire, c’est que Paul Wyler n’y est pas allé de main morte avec ce chronographe étanche ! Non seulement il intègre son innovation signature à un mouvement légendaire, mais en plus il protège le tout dans un boitier aussi performant que mythique. On ne compte même plus le nombre de brevets que concentre cette montre ! A y regarder de plus près, le Jumbostar est même conforme à la norme ISO 6425 sur les montres de plongée avec… 15 ans d’avance ! Au-delà de la technique, il faut également saluer un design à la fois fort, assumé et cohérent. Bref, un garde-temps aussi abouti que difficile à trouver…

Pour quelqu’un dont le but était de créer des montres “résistantes aux chocs du quotidien”, c’est tellement poussé qu’on est en droit de se demander ce qu’il entendait vraiment par là… !

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Montres Wyler SA : Epilogue

La Wyler SA produira des montres jusque dans le milieu des années 1970. Devenue moribonde, la marque sera rachetée en 1993 par le groupe Binda qui la renommera définitivement Wyler-Vetta. Malgré tout, elle disparaitra peu à peu, se contentant de quelques éditions anniversaires en séries limitées.

Mais en 2006, le groupe Binda, par la volonté du petit-fils de son fondateur, Marcello Binda, décide de la relancer. Et c’est en grande pompe lors du salon international Baseworld de 2017 que la marque, devenue Wyler Genève fait son grand retour avec un nouveau concept de montres sportives, inspirée du monde automobile avec un design au croisement entre Hublot et Richard Mille.

A l’instar de Paul Wyler, un distributeur de la marque à Taiwan ira même jusqu’à rouler sur une de ces nouvelles montres afin d’en démontrer la robustesse. Mais la mayonnaise ne prend pas… Vraisemblablement aidée par la crise de 2008, la marque disparait à nouveau en 2009, trois ans seulement après sa renaissance.

Pour refaire une apparition sous le nom de Wyler-Vetta 1896 en 2016, encore une fois avec des montres anniversaires en édition limitées. La dernière sortie en date eu lieu en 2021 avec une réédition du… Jumbostar. Malgré des similitudes évidentes avec son illustre aïeul, le cœur n’y est plus, le charme est rompu.

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Wyler Vetta Chronographe Jumbostar

Quoiqu’il en soit, je remercie encore une fois chaleureusement l’heureux propriétaire de ce garde-temps exceptionnel pour son amitié, mais également pour le temps passé à transmettre ses connaissances.

Bonus !

 

Hippolyte

Une montre c’est comme un origami : On pense que c’est réussi du moment que la technique est au service de l’esthétique. Mais le plus important, c’est de raconter une histoire…


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Written by Hippolyte
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