Lors d’un visite à Genève, nous avons eu la chance de rencontrer Ludovic Ballouard, l’horloger indépendant derrière les montres du même nom. L’occasion pour LeCalibre.com de revenir sur l’histoire de l’homme, les origines du projet et la philosophie des garde-temps qui en découlent. Découvrons ensemble un point de vue original et innovant sur le monde passionnant des horlogers indépendants en partageant avec un acteur très respecté du milieu en question qui le représente parfaitement.
Sommaire
Ludovic Ballouard, quand les éléments s’alignent
Ludovic Ballouard est né en Bretagne en 1971 d’un père breton et d’une mère hollandaise. D’après ses dires, son environnement le poussait à devenir soit pêcheur, soit agriculteur, mais certainement pas horloger. Se rendant assez rapidement compte que l’école traditionnelle ne lui convenait pas, il sort du parcours d’étude classique à 14 ans et s’oriente vers un BEP en sténodactylographie, ou l’art d’écrire aussi vite que la parole.
Passionné de travail minutieux et de petite mécanique depuis sa plus tendre enfance, passion découverte entre autres grâce à son hobby qu’est l’aéro-modélisme, il se met en tête de devenir prothésiste dentaire à l’âge de 16 ans, formation qui lui est refusée car son BEP ne suffit pas à se lancer dans cette filière. Sur les conseils d’un conseiller d’orientation, il découvre alors le métier d’horloger pour lequel il se passionne d’emblée. Il tente de rejoindre l’école d’horlogerie de Rennes, mais ne fait malheureusement pas partie des 13 élèves retenus sur plus de 200 demandes, en raison encore une fois de son parcours et de ses résultats académiques comme il l’explique dans une interview en podcast sur le site “tourbillon-watch.com”.
Cependant, il ne renonce pas et revient à l’école d’horlogerie une semaine après ce refus avec une maquette de bateau qu’il a réalisé. Il entre dans une classe et présente cette maquette à un professeur pour lui prouver que le travail manuel et minutieux ne lui fait pas peur, en insistant sur le fait que cette formation lui permettrait de réaliser son rêve et qu’il ne veut rien faire d’autre de sa vie. Une décision courageuse qui porta ses fruits puisque l’école fit une exception et accepta Ludovic Ballouard dans la formation d’horloger qui durera 4 ans.
À sa sortie de l’école, il accepte un premier job en tant qu’horloger chez Lemania, au Sentier, en Suisse. Il y passe 6 mois, mais la neige et les températures négatives ont raison de sa persévérance et le poussent à rentrer en Bretagne. Il est alors contraint de changer de métier, la région n’étant malheureusement pas connue pour ses activités horlogères.
Après avoir travaillé dans l’aéronautique pendant quelques années, il décide de reprendre contact avec l’horlogerie et envoie une candidature spontanée à la maison Franck Muller, la marque indépendante fondée à Genève en 1991 par l’horloger du même nom et le fabricant de boîtier Vartan Sirmakes. Pourquoi Franck Muller ? Tout simplement parce qu’il s’agit de la marque de la montre la plus chère que Ludovic trouve dans un magazine consacré à l’horlogerie qu’il feuilletait alors. Encore un geste courageux et audacieux qui s’avéra être le bon puisque la manufacture le contacte 48 heures plus tard et lui demande de venir à Genève le plus vite possible. Monsieur Ballouard passera 3 ans au service après-vente de chez Franck Muller, au bord du lac Léman.
Une rencontre qui a tout changé
Suite à cette expérience qui semble l’avoir déçu, il a l’opportunité d’entrer en tant qu’horloger dans la maison F.P.Journe, créée en 1999 par Francois-Paul Journe. Il peut alors s’épanouir dans un poste d’horloger qui lui convient bien mieux que son expérience précédente et totalisera 7 ans de collaboration avec cette maison d’exception. Il en parle d’ailleurs aujourd’hui en disant que sa plus belle rencontre dans les horlogers contemporains reste Francois-Paul Journe, qui lui a tout apporté au niveau de l’expérience.
Pendant les dernières années de collaboration avec cette maison, monsieur Ballouard était en charge d’assembler l’incroyable Sonnerie Souveraine, un type de pièce à grande complication qui est d’habitude réservée aux horlogers très expérimentés. Ludovic Ballouard rappelle d’ailleurs dans des interviews que le jour où monsieur Journe lui a proposé de travailler sur les grandes-sonneries reste le plus beau jour de sa carrière d’horloger.
Après plus de 3 ans de travail sur cette tâche d’une grande noblesse, monsieur Ballouard décide de quitter F.P. Journe pour se lancer en tant qu’indépendant. Avant son départ, Francois-Paul Journe lui offrira une caisse à outils contenant tous les outils qu’il avait à sa disposition lorsqu’il a lancé sa propre marque en 1999. Une transmission symbolique et concrète envoyant un message fort, qui semble avoir touché monsieur Ballouard. Cela a certainement dû le conforter dans son idée de réaliser son rêve, si bien qu’en 2009, il lance sa propre marque de garde-temps qui porte son nom.
Ludovic Ballouard Upside Down
C’est une montre en platine 950 de 41 millimètres de diamètre à heure sautante appelée “Upside Down”, qui se traduit par “À l’envers”, qui fut la première à porter le nom de Ludovic Ballouard. Sur le cadran de cette dernière, toutes les heures, inscrites en chiffres arabes, sont à l’envers, sauf celle qui indique l’heure qu’il est, qui elle est à l’endroit. On retrouve une aiguille centrale qui indique les minutes qui passent, ainsi qu’un sous-cadran petite seconde à 6h. L’heure est donc indiquée par les seuls chiffres à l’endroit, aux côtés desquels un point noir (ou de couleur selon les références) est également visible pour facilité la lecture. Ce point est caché sous l’épaisse lunette lorsque des chiffres sont à l’envers.
C’est une base de calibre ETA Peseux 7001, un mouvement à remontage manuel que l’on retrouve sur des Omega Deville, des Junghans et autres Blancpain, que monsieur Ballouard transforma entièrement pour créer son calibre maison B01 qui entraine sa complication unique. À travers le fond de boîte en verre saphir, on peut d’ailleurs observer cette complication en action, puisque l’horloger a décidé de la placer sous le mouvement et non pas sous le cadran. Il a donc fallu faire traverser tout le mouvement aux 12 pignons verticaux utilisés pour l’affichage des heures. Cette construction de mouvement à également forcé monsieur Ballouard à placer la couronne, en platine elle aussi, entre les repères de 2h et 3h, pour que sa tige puisse passer entre les deux croix de Malte derrière chaque chiffres des heures.
De nombreuses variantes utilisant d’autres matériaux, d’autres couleurs et d’autres détails sur les inscriptions ont vu le jour au fil des années sur cette montre qui a fait un tabac auprès de très grands collectionneurs internationaux. Ludovic Ballouard a même eu la surprise de recevoir une commande personnelle de l’ancien roi d’Espagne pour ce garde-temps.
Détail agréable: Le porteur de la montre va sentir le changement d’heure à son poignet, comme c’est le cas avec presque toutes les montres à heure sautante. Il est donc possible de savoir que l’heure vient de se terminer sans avoir à regarder son garde-temps, bien que ce type de pièce soit fait pour être regardé le plus souvent possible.
Bien plus que des montres
À travers ce garde-temps, Ludovic Ballouard semble vouloir partager avec nous bien plus qu’un outil qui indique l’heure. Il nous transmet presque une philosophie de vie. Il l’explique d’ailleurs lui même sur son site officiel et on a également pu en discuter avec lui lors de notre rencontre en 2020. Cette première montre estampillée Ludovic Ballouard annonçait déjà cette volonté de se concentrer sur l’instant présent et de porter beaucoup moins d’importance au passé inaltérable, comme au futur incertain.
Chaque montre sur laquelle travaille monsieur Ballouard est emplie de symboles et chaque détail est réfléchi. Il insiste sur le fait que l’on ne porte pas une montre d’un horloger indépendant de la même manière qu’un modèle provenant d’une grande maison classique. Il tire souvent une grande partie de son inspiration de ce qu’il se passe autour de lui et de ce qu’il ressent. Par exemple, la toute première Upside-Down de 2009 fut proposée avec un cadran gris-souris presque triste, symbolisant le ciel gris de Bretagne. Son mouvement lui, visible grâce au fond de boîte en verre saphir, laissait apparaître des platines en laiton doré avec une finition soleillée, ce qui représentait le soleil derrière les nuages.
Il a également évoqué le fait que les chiffres à l’envers faisaient référence à la bourse et aux chiffres en chute lors de la crise économique de 2008. Certains détails semblent être faits pour être plus ou moins aisément compréhensibles par les porteurs, mais on peut imaginer que d’autres clins d’oeil puissent uniquement être compris et appréhendés par monsieur Ballouard lui-même et éventuellement quelques-uns de ses proches, notamment sur la montre qu’il a proposé en janvier 2012: La Half Time
Ludovic Ballouard Half Time
La Half Time est une montre qui, pour monsieur Ballouard, représente l’amour, avec des chiffres romains coupés en deux qui n’ont de sens que lorsqu’ils rejoignent la moitié qui leur correspond. On retrouve donc la complication d’heure sautante, à laquelle s’ajoute une minute rétrograde. Tous les chiffres des heures sont coupés en deux dans le sens de la longueur et leurs moitiés se trouvent sur deux parties séparées difficiles à discerner, un disque central et un anneau en périphérie, qui tournent en sens opposés. En tournant, les parties reconstituent l’heure qu’il est dans un guichet à 12h. Les autres chiffres restant illisibles car les moitiés superposées ne correspondent pas.
On retrouve une échelle des minutes rétrogrades dans un arc de cercle à 6h qui indique donc les minutes qui passent grâce à une aiguille égrainant les minutes sur l’arc de cercle avant de revenir instantanément à zéro lorsque la minute se termine. Cette montre ne propose pas d’indicateur des secondes.
C’est encore une fois un mouvement ETA Peseux 7001, entièrement modifié par l’horloger de génie pour l’adapter à cette nouvelle complication, qui entraine la bête et qui prend le nom de Calibre B02. Le mouvement final est constitué de plus de 300 pièces et offre une réserve de marche d’environ 35 heures. On retrouve également le boîtier de 41 millimètres de diamètre pour 11 millimètres d’épaisseur en platine 950 de la Upside Down, ce qui explique pourquoi la couronne reste entre 2h et 3h, bien que l’aspect technique ne l’oblige plus ici.
La sensation du changement d’heure au poignet est toujours là sur cette montre à heure sautante et est même légèrement amplifiée par la minute rétrograde. Encore une fois, monsieur Ballouard a décliné cette montre en de nombreuses autres références jouant avec les matières, les couleurs et les chiffres. On retrouve par exemple des Half Time avec des chiffres chinois ou thaïlandais.
Opus 13 Harry Winston et Ludovic Ballouard
La collection Opus fut lancée en 2001 par Maximilian Büsser, alors PDG de Harry Winston Rare Timepiece, la branche horlogère de la maison de joaillerie Harry Winston fondée en 1932 à New York. Maximilian Büsser a depuis créé sa propre marque MB&F et nous avons aussi eu la chance de rencontrer leurs équipes aux Geneva Watch Days. Pour en savoir plus, découvrez notre article et vidéo sur le sujet.
Le concept de la collection Opus est de mettre en avant un horloger indépendant différent à chaque modèle, en repoussant les limites de l’horlogerie et en explorant des chemins vierges dans le secteur. L’Opus I de 2001 s’était fait en collaboration avec François-Paul Journe et en 2013, pour l’Opus XIII, c’est avec Ludovic Ballouard que les équipes de chez Harry Winston ont collaboré.
On retrouve la patte de monsieur Ballouard avec le concept de l’heure sautante. Ce sont des indicateurs qui apparaissent en face de l’heure qu’il est en sortant de la partie centrale du cadran, partie en saphir taillée comme un diamant. On découvre un concept similaire pour l’affichage des minutes, avec des marqueurs qui sortent eux aussi de leur cachette et qui changent de plan pour indiquer les minutes qui s’écoulent. Autre spécificité: il n’y a pas de marqueur d’heure à 12h. C’est un logo HW pour Harry Winston qui apparaît dans une fenêtre au centre du cadran à midi et à minuit.
On change de format avec un boîtier en or blanc de 44,35 millimètres de diamètre pour 13 millimètres d’épaisseur. Une montre imposante donc, qui paraît encore plus grosse qu’elle n’est en raison du travail sur les formes et des nombreuses parties en saphir facetté. C’est le calibre HW4101 qui entraine cette création, un mouvement à remontage manuel contenant pas moins de 242 rubis (!!). Des caractéristiques impressionnantes pour une montre produite à 130 exemplaires proposés aux alentours de 300 000 dollars pièce lors de leur sortie.
Et après ?
Un point important à noter est le fait que monsieur Ballouard travaille seul dans son petit atelier de Genève, ce qui implique que lorsqu’il travaille sur un nouveau modèle, la production des modèles existants s’arrête. Cela explique la rareté des montres qu’il propose ainsi que les temps de livraison après une commande. Cependant, il a tout de même pour but de continuer à créer et de proposer de nouvelles pièces régulièrement.
Lors de notre rencontre, il a rapidement évoqué sa prochaine montre, sans toutefois nous dévoiler ses secrets. Il a simplement parler du fait qu’elle pourrait s’appeler “Less is More”, une phrase souvent utilisée en parlant du mouvement minimaliste. Il s’agirait d’une montre équipée d’une grande complication très connue par tous les horlogers du monde, mais interprétée différemment dans un esprit humble, un peu à la manière d’une force tranquille. Il a évoqué le concept de cacher ce que les autres maisons auraient décidé de mettre en avant. On sent donc encore une fois une forte signification philosophique derrière une montre qui gagne en complexité. Il semble avoir décidé de prouver qu’il n’était pas uniquement capable de proposer des complications originales et qui sortent des sentiers battus comme sur la Half Time ou la Upside Down, mais qu’il maitrisait également les grandes complications admirées des passionnés du monde entier, tout en y ajoutant sa patte unique.
S’agirait-il d’un tourbillon, voire d’un tourbillon volant ? Peu probable, car on sait qu’il a refusé de s’occuper des tourbillons chez F.P. Journe lorsque Francois-Paul le lui avait proposé à ses 35 ans. D’après lui, un mouvement à tourbillon est un mouvement avec peu de composants mais beaucoup de réglages. Cependant, il préfère les mouvements avec de très petits et très nombreux composants.
On sait cependant qu’il ne s’agit pas encore d’une montre à grande-sonnerie. En effet, encore dans l’interview de “tourbillon-watch.com”, il évoque le fait que la création de sa propre grande-sonnerie fasse partie de ses rêves sur le long terme, mais que cela demande beaucoup d’investissement, notamment en raison du nombre de composants considérable nécessaire à la création d’une montre pareille. La maison Ludovic Ballouard n’aurait donc pas encore les capacités de se lancer dans un projet d’une telle envergure.
Pour l’instant, la prochaine pièce de monsieur Ballouard reste donc un mystère bien gardé, mais dès que nous en sauront plus, nous ne manquerons pas de vous en faire part…
Ludovic Ballouard: Conclusion
Ludovic Ballouard explique que le travail manuel et minutieux reste sa passion et que c’est en grande partie pour cela que son amour pour l’horlogerie reste intact. Il insiste également sur l’importance de la patience et de la persévérance pour les horlogers en général et encore plus pour les horlogers indépendants. Il vit cette passion à fond et met un peu de lui dans chacun de ses garde-temps.
Une histoire et une rencontre qui nous ont passionné nous aussi et qui nous poussent à nous pencher de plus en plus sur ces horlogers indépendants qui font vivre l’horlogerie d’aujourd’hui, qui modèlent celle de demain, qui rappellent qu’il est toujours possible d’innover dans le secteur et qui explorent des sphères encore inconnues. Une véritable bouffée d’air frais dans ce secteur en constante évolution, même si de nombreuses grandes maisons préfèrent asseoir leur suprématie en proposant années après années des modèles similaires légèrement réinterprétés. Comme le rappelle Ludovic Ballouard, on ne porte pas une montre d’un horloger indépendant de la même manière qu’une montre de grande maison.